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- Libellé inconnu,
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Je veux décider du travail jusqu'à ma mort
Conférence gesticulée de Bernard Friot 
en clôture du séminaire résidentiel de l'IDHE.S.
le 10 septembre 2019
Bâtiment Max Weber (W)
ORGANISATION
Élise Abassade | Université Paris 8, IDHE.S
Isabel da Costa | CNRS, ENS Paris-Saclay ; IDHE.S
Pierre Grilo | Université Paris Nanterre, IDHE.S
Fabienne Le Pendeven | CNRS, Université Paris Nanterre ; IDHE.S
Delphine Mondout | Université Paris Nanterre, IDHE.S
Emeline Vezzu | Université Paris Nanterre, IDHE.S
Présentation subjective
Plus je suis retraité, plus je suis  féministe, car j’éprouve ce qu’a d’humiliant le fait d’être nié comme  producteur et exalté comme « très utile », « bénévole » et autres lots  de consolation. Je refuse d’être confiné dans une retraite de  « solidarité intergénérationnelle ». Je refuse l’invitation à « me  calmer », à « prendre du temps pour moi après avoir tant travaillé ». Je  refuse un hors-travail dont l’aliénation est à la mesure de celle du  travail dans le capitalisme. Je milite pour le temps sans âge, je refuse  de devenir vieux à force d’être marginalisé sur l’essentiel : la  responsabilité économique. Je ne veux pas être amputé, comme retraité,  de l’autre dimension constitutive du travail, à côté de son utilité  sociale : la production de valeur. Je veux consacrer mon expérience  professionnelle à explorer, avec toutes celles et tous ceux qui sont  décidés à sortir le travail de la folie anthropologique et écologique du  capital, des chemins nouveaux, communistes, d’un travail qui ait sens,  centré sur le travail vivant, dans la coopération et hors de toute  subordination.
C’est pourquoi je refuse d’être considéré comme un improductif et  d’avoir comme pension le différé de mes cotisations consignées dans un  compte. J’exige au contraire d’être payé jusqu’à ma mort par une pension  à 100 % de mon meilleur salaire net quelle que soit ma carrière, dans  la poursuite de ce qu’a construit Ambroise Croizat et la CGT en 1946.  C’est pourquoi je me bats pour que toutes et tous, de 18 ans à notre  mort, nous soyons mis en responsabilité de produire une valeur  économique libérée de la logique capitaliste, et donc décideurs des  investissements et des qualifications, propriétaires de notre outil de  travail et titulaires de notre salaire, trois droits qui doivent devenir  des droits de la personne, le crédit, le droit de propriété lucrative  et le marché du travail étant abolis. Ce communisme du travail concret  est la seule alternative, enfin offensive, à la restauration capitaliste  en cours depuis Rocard et que Macron veut poursuivre en supprimant le  droit au salaire pour des retraités dont la pension serait le différé de  leurs cotisations.
 
Présentation académique
La vieillesse est une catégorie  d’analyse qui renvoie à l’extériorité du travail aux personnes dans le  capitalisme. On doit « s’insérer » dans le travail comme « jeune », on  peut « le perdre » comme « chômeur » et en être « libéré » comme  « retraité ». En effet dans le capitalisme le travail, c’est-à-dire la  partie de l’activité réputée productive, est le monopole des détenteurs  des moyens de production, qui définissent hors de toute démocratie qui  travaille, où, pour quoi faire. Une telle dictature sur l’essentiel de  nos existences suppose que les personnes intériorisent comme normal  qu’il y ait des temps sans travail, comme jeunes « avant le travail »,  chômeurs « pendant le travail » ou retraités « après le travail ». La  forme la plus perverse de cette étrangeté des personnes au travail étant  la retraite, puisque les retraités, définitivement exclus du travail,  sont invités à se réjouir de cette amputation ! Définitivement amputés  de toute responsabilité économique, les retraités sont condamnés au  vieillissement que génère la marginalisation dans les activités  marginales du bénévolat. Naît alors, autour des mutuelles, des  associations et des entreprises qui vivent de la violence ainsi faite  par le capitalisme aux « personnes âgées », tout un secteur économique  de « lutte contre le vieillissement » aussi cynique qu’illusoire, avec  injonction à la multiplication pathétique d’activités censées maintenir  la bonne santé physique et mentale – à la place de l’essentiel absent,  le travail. On observe la même violence pour les jeunes adultes, niés  comme productifs et donc sans droit au salaire de la convention  collective ou au statut de fonctionnaires, et incités à multiplier les  « activités d’insertion » (stages, volontariat, service civique, CDD à  la tâche).
Contre ce déni, le communisme en train de se construire a commencé à  instituer un droit politique au salaire : les fonctionnaires, les  salariés à statut, ont un salaire à la qualification personnelle. C’est  leur personne qui est qualifiée, pas leur emploi. Sur ce modèle, les  trois-quarts des pensions sont depuis 1946 calculées comme la poursuite  du salaire et non pas comme la contrepartie de cotisations passées. Un  tel droit au salaire déconnecté de l’emploi commence ainsi à définir des  personnes reconnues comme productives en tant que personnes et non pas  parce qu’elles ont un emploi. La retraite avec droit à la poursuite de  son salaire libère non pas du travail mais du marché du travail. D’où  l’enjeu pour la classe dirigeante d’en finir avec le droit au salaire  pour les retraités et de construire la pension de retraite non plus  comme la poursuite du meilleur salaire mais comme la contrepartie des  cotisations de carrière. La lutte contre la prétendue vieillesse est  donc une dimension décisive de la mise en échec du projet de retraite  par comptes à points. Elle relève de la même libération qu’un droit au  salaire pour les jeunes, à instituer comme enrichissement de la  citoyenneté : de 18 ans à sa mort, chacun doit avoir droit à une  qualification personnelle, progressant par épreuves de qualification,  qui le fasse titulaire de son salaire.
 
Biographie
Bernard Friot, professeur émérite à l’Université Paris Nanterre, est  économiste et sociologue du travail. Ses travaux portent sur la sécurité  sociale et plus généralement sur les institutions du salariat nées au  20e siècle en Europe continentale. Chercheur à l’IDHE.S, il y est membre de l’Institut européen du salariat (www.ies-salariat.org),  en particulier de son groupe de travail sur la valeur. Adhérent à la  FSU et au PCF, il participe à deux associations d’éducation populaire  politique : Réseau Salariat (www.reseau-salariat.info) où il co-organise un séminaire mensuel à la Bourse du Travail de Paris, et L’Ardeur (www.ardeur.net) avec laquelle il donne deux conférences gesticulées : Oui à la révolution communiste du travail et Je veux décider du travail jusqu’à ma mort. Il a récemment publié chez PIE-Peter Lang (Bruxelles), avec Bernadette Clasquin, The Wage under Attack : Employment Policies in Europe (2013), à l’Atelier de création libertaire (Lyon) un débat avec Anselm Jappe : Après l’économie de marché ? Une controverse (2014) et à La Dispute (Paris) L’enjeu du salaire (2012), Puissances du salariat (2012, nouvelle édition augmentée), Émanciper le travail, entretiens avec Patrick Zech (2014, édition revue en 2015), Vaincre Macron (2017), Le travail, enjeu des retraites (2019).
 
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- 																	Séminaire résidentiel9 septembre 2019 - 10 septembre 2019
Mis à jour le 22 juillet 2019
 
			            