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Je veux décider du travail jusqu'à ma mort

Publié le 19 juillet 2019 Mis à jour le 22 juillet 2019

Conférence gesticulée de Bernard Friot
en clôture du séminaire résidentiel de l'IDHE.S.

Date(s)

le 10 septembre 2019

17 h 30 - 20 h
Lieu(x)

Bâtiment Max Weber (W)

Rez-de-chaussée, salle de conférences

 

ORGANISATION

Élise Abassade | Université Paris 8, IDHE.S
Isabel da Costa | CNRS, ENS Paris-Saclay ; IDHE.S
Pierre Grilo | Université Paris Nanterre, IDHE.S
Fabienne Le Pendeven | CNRS, Université Paris Nanterre ; IDHE.S
Delphine Mondout | Université Paris Nanterre, IDHE.S
Emeline Vezzu | Université Paris Nanterre, IDHE.S



Présentation subjective

Plus je suis retraité, plus je suis féministe, car j’éprouve ce qu’a d’humiliant le fait d’être nié comme producteur et exalté comme « très utile », « bénévole » et autres lots de consolation. Je refuse d’être confiné dans une retraite de « solidarité intergénérationnelle ». Je refuse l’invitation à « me calmer », à « prendre du temps pour moi après avoir tant travaillé ». Je refuse un hors-travail dont l’aliénation est à la mesure de celle du travail dans le capitalisme. Je milite pour le temps sans âge, je refuse de devenir vieux à force d’être marginalisé sur l’essentiel : la responsabilité économique. Je ne veux pas être amputé, comme retraité, de l’autre dimension constitutive du travail, à côté de son utilité sociale : la production de valeur. Je veux consacrer mon expérience professionnelle à explorer, avec toutes celles et tous ceux qui sont décidés à sortir le travail de la folie anthropologique et écologique du capital, des chemins nouveaux, communistes, d’un travail qui ait sens, centré sur le travail vivant, dans la coopération et hors de toute subordination.
C’est pourquoi je refuse d’être considéré comme un improductif et d’avoir comme pension le différé de mes cotisations consignées dans un compte. J’exige au contraire d’être payé jusqu’à ma mort par une pension à 100 % de mon meilleur salaire net quelle que soit ma carrière, dans la poursuite de ce qu’a construit Ambroise Croizat et la CGT en 1946. C’est pourquoi je me bats pour que toutes et tous, de 18 ans à notre mort, nous soyons mis en responsabilité de produire une valeur économique libérée de la logique capitaliste, et donc décideurs des investissements et des qualifications, propriétaires de notre outil de travail et titulaires de notre salaire, trois droits qui doivent devenir des droits de la personne, le crédit, le droit de propriété lucrative et le marché du travail étant abolis. Ce communisme du travail concret est la seule alternative, enfin offensive, à la restauration capitaliste en cours depuis Rocard et que Macron veut poursuivre en supprimant le droit au salaire pour des retraités dont la pension serait le différé de leurs cotisations.
 

Présentation académique

La vieillesse est une catégorie d’analyse qui renvoie à l’extériorité du travail aux personnes dans le capitalisme. On doit « s’insérer » dans le travail comme « jeune », on peut « le perdre » comme « chômeur » et en être « libéré » comme « retraité ». En effet dans le capitalisme le travail, c’est-à-dire la partie de l’activité réputée productive, est le monopole des détenteurs des moyens de production, qui définissent hors de toute démocratie qui travaille, où, pour quoi faire. Une telle dictature sur l’essentiel de nos existences suppose que les personnes intériorisent comme normal qu’il y ait des temps sans travail, comme jeunes « avant le travail », chômeurs « pendant le travail » ou retraités « après le travail ». La forme la plus perverse de cette étrangeté des personnes au travail étant la retraite, puisque les retraités, définitivement exclus du travail, sont invités à se réjouir de cette amputation ! Définitivement amputés de toute responsabilité économique, les retraités sont condamnés au vieillissement que génère la marginalisation dans les activités marginales du bénévolat. Naît alors, autour des mutuelles, des associations et des entreprises qui vivent de la violence ainsi faite par le capitalisme aux « personnes âgées », tout un secteur économique de « lutte contre le vieillissement » aussi cynique qu’illusoire, avec injonction à la multiplication pathétique d’activités censées maintenir la bonne santé physique et mentale – à la place de l’essentiel absent, le travail. On observe la même violence pour les jeunes adultes, niés comme productifs et donc sans droit au salaire de la convention collective ou au statut de fonctionnaires, et incités à multiplier les « activités d’insertion » (stages, volontariat, service civique, CDD à la tâche).
Contre ce déni, le communisme en train de se construire a commencé à instituer un droit politique au salaire : les fonctionnaires, les salariés à statut, ont un salaire à la qualification personnelle. C’est leur personne qui est qualifiée, pas leur emploi. Sur ce modèle, les trois-quarts des pensions sont depuis 1946 calculées comme la poursuite du salaire et non pas comme la contrepartie de cotisations passées. Un tel droit au salaire déconnecté de l’emploi commence ainsi à définir des personnes reconnues comme productives en tant que personnes et non pas parce qu’elles ont un emploi. La retraite avec droit à la poursuite de son salaire libère non pas du travail mais du marché du travail. D’où l’enjeu pour la classe dirigeante d’en finir avec le droit au salaire pour les retraités et de construire la pension de retraite non plus comme la poursuite du meilleur salaire mais comme la contrepartie des cotisations de carrière. La lutte contre la prétendue vieillesse est donc une dimension décisive de la mise en échec du projet de retraite par comptes à points. Elle relève de la même libération qu’un droit au salaire pour les jeunes, à instituer comme enrichissement de la citoyenneté : de 18 ans à sa mort, chacun doit avoir droit à une qualification personnelle, progressant par épreuves de qualification, qui le fasse titulaire de son salaire.
 

Biographie

Bernard Friot, professeur émérite à l’Université Paris Nanterre, est économiste et sociologue du travail. Ses travaux portent sur la sécurité sociale et plus généralement sur les institutions du salariat nées au 20e siècle en Europe continentale. Chercheur à l’IDHE.S, il y est membre de l’Institut européen du salariat (www.ies-salariat.org), en particulier de son groupe de travail sur la valeur. Adhérent à la FSU et au PCF, il participe à deux associations d’éducation populaire politique : Réseau Salariat (www.reseau-salariat.info) où il co-organise un séminaire mensuel à la Bourse du Travail de Paris, et L’Ardeur (www.ardeur.net) avec laquelle il donne deux conférences gesticulées : Oui à la révolution communiste du travail et Je veux décider du travail jusqu’à ma mort. Il a récemment publié chez PIE-Peter Lang (Bruxelles), avec Bernadette Clasquin, The Wage under Attack : Employment Policies in Europe (2013), à l’Atelier de création libertaire (Lyon) un débat avec Anselm Jappe : Après l’économie de marché ? Une controverse (2014) et à La Dispute (Paris) L’enjeu du salaire (2012), Puissances du salariat (2012, nouvelle édition augmentée), Émanciper le travail, entretiens avec Patrick Zech (2014, édition revue en 2015), Vaincre Macron (2017), Le travail, enjeu des retraites (2019).
 

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Mis à jour le 22 juillet 2019